La Foad en Greta : pour le meilleur… ou pour le pire ?

Pour la CGT Educ’Action, la généralisation de la Formation Ouverte et à Distance (FOAD) dans les Greta comporte des risques aussi bien pour les personnels formateurs et les stagiaires que pour les groupements eux-mêmes.

La période du grand confinement aura été riche en expérimentations pour les capitalistes et les tenants des contre-réformes libérales. La masse des travailleurs leur a servi de cobayes.

Dans le monde de la formation, les formateurs et les formatrices, comme leurs stagiaires, ont eu à subir dans l’improvisation la plus totale la mise en place de modalités de formation à distance variées.

Malgré le bilan plus que mitigé de cette période, dont on se souvient plus des difficultés que des rares réussites pédagogiques (s’il y en a eu !), les collègues entendent de plus en plus la petite musique : « profitons de cette expérience du Covid pour développer notre offre de formation en Foad ».

Or, pour la CGT Éduc’Action, et plus particulièrement le collectif national Greta, ce discours contient deux écueils :

  • premièrement, les Greta n’ont pas réellement mis en place de Foad durant cette période,
  • deuxièmement, la Foad n’a pas vocation à répondre à la majorité des objectifs de formation des Greta, qui sont spécialisés dans la formation professionnelle qualifiante et la remise à niveau de publics pour leur insertion professionnelle.

 

Mais, d’abord, qu’est-ce que la Foad ?

La formation ouverte et/ou à distance est le nom générique donné à l’ensemble des modalités de formation en tout ou partie asynchrone et distancielle et s’appuyant en général sur des technologies numériques.

On parle aussi de formation multimodale.

Parmi les modalités proposées, on retrouve la formation à distance classique (comme le CNED), l’e-learning (formation en ligne), les Mooc (massive open online course – formation en ligne ouverte à tous), les webinaires…

Lorsque la téléformation est combinée à de la formation plus traditionnelle en présentielle, en stage en entreprise ou dorénavant à de l’Afest, on parle de blended-learning ou de formation hybride.

La Foad n’est reconnue dans le code du travail que depuis 2014 <1>.

Et à présent, c’est surtout le décret du 28 décembre 2018 <2>, issu de la loi Macron / Pénicaut « pour la liberté de choisir son avenir professionnel » qui nous apporte un cadre juridique, flou, sur lequel les professionnels de la formation peuvent s’appuyer.

Pour résumer, le décret dit qu’une action en Foad répond à des objectifs de formation professionnelle, elle comporte une « assistance technique et pédagogique », une « information » sur la durée moyenne des activités à réaliser à distance et des évaluations régulières qui « jalonnent ou concluent l’action de formation »… et c’est tout !

En Foad, le nombre d’heures affectées à la formation est donc détaché de la durée réelle de formation, attestée conventionnellement par une feuille d’émargement signée par le formateur ou la formatrice et les stagiaires.

C’est une estimation de la durée moyenne du temps de réalisation des activités par les stagiaires qui est utilisée, tant pour compter les heures effectuées par les stagiaires que par les formateurs et formatrices.

Dès lors, les financeurs sont en droit de demander au centre de formation réalisateur, « tout élément probant » pour montrer que le stagiaire a bien effectué sa formation <3>.

« Tout élément » ? Attention, aucun organisme n’est heureusement autorisé à demander les productions des stagiaires ou les conceptions pédagogiques des formateurs et des formatrices !

Et encore moins des informations qui relèveraient de la vie privée (contenus de messagerie, heures de connexion…).

Les risques de la généralisation de la Foad dans les Greta

En autorisant n’importe quelle entreprise à se constituer comme centre de formation, la loi de 2018 vise clairement à s’appuyer sur la Foad (et l’Afest <4>) pour baisser les coûts de la formation, notamment en permettant à ces entreprises de se passer des OF traditionnels comme les Afpa et les Greta.

Et cette logique d’économies de moyens risque également de se répercuter dans les Greta eux-mêmes.

La tentation est grande de s’appuyer sur des contenus conçus par des éditeurs privés pour se passer au maximum des formateurs et des formatrices… mais pour des économies immédiates de bouts de chandelles, quel en sera le prix à payer à moyens termes ?

Dégradation des conditions de travail, détérioration de l’accueil et du suivi des stagiaires causeront infailliblement le délabrement de la qualité des formations et donc de l’image même des Greta… Les OF privés et les éditeurs s’en frottent déjà les mains.

Formateurs, formatrices face à la Foad

Pour certain⋅es, les outils de la formation à distance sont vus comme une opportunité d’enrichir et de compléter leur palette pédagogique.

Tant que le formateur ou la formatrice contrôle entièrement le contenu de sa progression pédagogique, les outils de Foad ne sont pas problématiques.

C’est à partir du moment où l’ingénierie pédagogique prévoit de la Foad comme modalité de formation au sein du parcours, que les difficultés commencent !

En effet, de nombreuses questions se posent alors :

  • Quel est le rôle du formateur ou de la formatrice dans ce dispositif ?
  • Quelles sont ses tâches ?
  • Dans quel cadre ?
  • Avec quelle formation ?
  • Et d’abord, comment ses heures sont-elles décomptées ?

1 h en Foad = 1 h en FFP

La Foad sera partout un prétexte pour faire des économies, notamment sur les salaires des formateurs et des formatrices.

Pourtant, il leur est possible de s’appuyer sur le cadre juridique pour défendre la valeur de leur travail.

Arrêté du 17 juillet 2018 « fixant les activités à mener pour les intervenants devant stagiaires » <5>, intègre clairement comme activités d’enseignement (décomptées en face à face pédagogique – FFP), « les interventions synchrones ou asynchrones en formation ouverte et à distance ».

La première des batailles est donc de bien faire reconnaître ce travail comme du face à face pédagogique !

Concernant les activités en asynchrone, seul le temps de travail estimé du stagiaire peut être décompté au formateur ou à la formatrice.

Par ailleurs, si la formation asynchrone inclut bien les « heures de préparation de l’intervention », comme en en FFP, celles-ci ne sont pas forcément de la production de ressources (très chronophage en Foad) !

La production de ressources est une activité spécifique

Le même arrêté précise ainsi explicitement que « la production de ressources pédagogiques » est une « activité spécifique à la formation continue », donc rémunérée en heures périphériques.

Attention ! Lorsque nous parlons de « production de ressources », il s’agit ici des ressources commandées explicitement par le Greta. Tant que la production de supports, documents et autres outils pédagogiques n’est pas demandée au formateur ou à la formatrice, ces ressources sont sa propriété intellectuelle pleine et entière.

Si les Greta veulent investir dans la Foad, ils seront dans l’obligation d’appeler à des ateliers de production. En effet, les supports en Foad demandent des compétences techniques très particulières. Et dans ce cadre, nous appelons les collègues à être très vigilant⋅es :

1) Ne vous faites pas voler vos propres créations pédagogiques par l’administration.

2) Si vous produisez des ressources pédagogiques pour le Greta, n’évaluez pas votre travail au rabais !

Refuser la multiplication des rôles et des tâches…

La production de ressources, comme toute autre activité spécifique, n’a pas à être effectuée sur le même créneau horaire qu’une autre activité. Ainsi, ce travail doit se faire à part des interventions d’enseignement, des activités de coordination ou encore de centre de ressources.

Car, en effet, le risque est grand de nous imposer une multiplication des tâches, au prétexte de Foad.

… et défendre son métier

Pour de nombreux tenants de la multimodalité, les formateurs et les formatrices n’auraient plus leur place face aux stagiaires.

Ainsi, nous voyons de plus en plus leur métier être décomposé et déqualifié.

Voici les nouveaux grands noms de l’innovation pédagogique : tutorat téléphonique et coaching vidéo, animation social-learning dans des forums à distance et accompagnement (technique) en salles multimédias !

Amputés de leur rôle social inhérent à la complexité du métier, les formateurs et les formatrices seront également bientôt dépourvues de leur liberté pédagogique et transformées en simples prescripteurs, prescriptrices, de « contenus » développés par des éditeurs privés.

Bientôt, aux termes de quiz divers (notons ici aussi la grande modernité !), ces concurrents privés certifieront automatiquement les « compétences » de nos stagiaires (par des badges numériques ?), sur lesquels les équipes pédagogiques n’auront aucun contrôle, dépossédées de l’évaluation, et donc là encore, d’une partie de leur métier.

Pour les stagiaires : moins d’humanité, plus de déqualification

Du côté des stagiaires la généralisation de dispositifs numériques à distance n’est pas plus avenante.

La Foad demande tout d’abord des compétences langagières, numériques et organisationnelles que les stagiaires viennent, justement, souvent acquérir et développer au Greta. Elle exclut d’emblée de nombreuses personnes du droit à la formation : public en situation d’analphabétisme, d’illettrisme, d’illectronisme ou encore de certains handicaps.

De plus, l’autonomie que la Foad implique et l’isolement qu’elle produit, notamment dans les activités asynchrones, mènent à des risques d’abandon très élevés comparés à une formation habituelle <6>.

Et pour ceux qui pourront suivre jusqu’au bout​ : comment s’assurer systématiquement du bon déroulement de leur formation, les rassurer, les orienter et évaluer sur le long terme l’acquisition des connaissances et des savoirs pratiques ?

Avec le CPF, qui rend désormais les travailleurs responsables de s’adapter par eux-mêmes à leur poste, le système prend tout son sens. On dépense ses crédits de formation pour assurer sa productivité, et donc sa place, dans l’entreprise. Les dispositifs en Foad ou en Afest valideront maintenant les nouvelles compétences attendues par l’employeur, sans réelle possibilité d’évolution vers un poste meilleur ou l’obtention d’un diplôme !

Dans un tel système, les employeurs sont archi-gagnants. La fameuse « formation tout au long de la vie », c’est la déqualification généralisée pour répondre à l’employabilité et la flexibilité permanentes <7>.

La FOAD : un risque pour les Greta

Les Greta se retrouvent aujourd’hui à vouloir s’insérer dans le marché de la formation à distance, s’inclinant devant le projet de modernisation de l’école appelé par un Blanquer éminemment ravi de sa gestion du confinement… et du déconfinement.

Dans les concurrents leaders du marché, on trouve par exemple openclassroom.org, notamment conseillé par le ministère pour soutenir les cours en informatique pendant le Covid. Historiquement réputé pour ses tutoriels informatiques en accès gratuit, le site s’est professionnalisé au point de proposer « des formations diplômantes et surtout inscrites au RNCP », 100 % en ligne. Le principe révolutionnaire ? Des tutos, des vidéos, un coach « pro » (une fois par semaine…).

Chercher à affronter ce type d’OF, bien installée dans une niche qu’elle s’est construite, relèverait d’une faute professionnelle impardonnable, pour deux raisons :

— la majorité du public des Greta n’est pas une cible pour l’offre de formation en distancielle

— ni les équipes de formation, ni les CFC, ne sont réellement formés à la Foad !

Céder à la tentation de généraliser le multimodal dans les Greta nuirait fortement à la qualité des formations. Dit autrement, les Greta feraient des promesses à leurs financeurs qu’ils ne tiendraient pas. Et perdraient très vite de nouvelles opportunités de financement (notamment d’appels d’offre).

Les technologies de l’information et de la communication sont l’un des principaux leviers de croissance pour répondre à la crise économique. Or, une bulle est si vite explosée…

Rappelons au passage que ce secteur est largement promu et soutenu par l’OMC, l’OCDE ou encore l’UE depuis plus de 20 ans, comme pilier du projet d’une « économie de la connaissance la plus compétitive au monde ». Et ce projet n’est clairement pas d’assurer un grand service public de la formation professionnelle et continue !

Nos recommandations :

La multimodalité et ses « innovations » ne sont pas conçues pour des formations longues et préparer à des diplômes. Elle peut tout au plus répondre à des besoins parcellaires : adaptation à quelques changements sur un poste, maîtrise d’un nouveau logiciel ou d’un nouvel outil, petite remise à niveau…

Ainsi, la plate-forme de formation à distance maison, le LMS e-Greta, peut être utilisée comme solution d’appoint pour enrichir et varier le contenu des cours ou pour individualiser et consolider les parcours de formation, sans pour autant remettre en question la raison d’être des Greta.

Nous recommandons aux collègues d’exiger, dans chaque formation​​​ :

— Le strict respect des textes sur la formation synchrone et asynchrone (comptée en FFP).

— Le refus de la mixité des modes de formation sur le même créneau.

— La limitation du nombre de stagiaires.

— Une réelle prise en compte des heures de conceptions de ressources FOAD (décomptées en heures périphériques).

Pour permettre aux Greta de proposer malgré tout à leurs financeurs des options multimodales, il est urgent que les académies lancent une campagne pour la formation des collègues, également des CFC, à la Foad, et à e-Greta en particulier.

Pour la CGT, il est hors de question de soutenir tout plan, avec ou sans Foad, qui porterait atteinte à la pérennité des Greta comme organismes de formation publics !

 

Télécharger notre 4 pages Foad en Greta Sept_2020


Notes et liens :

1>  Loi n° 2014-288 du 5 mars 2014 et décret n° 2014-935 du 20 août (disponibles sur Légifrance : www.legifrance.gouv.fr)

2> L’article 1 du décret modifie l’article l’art. D. 6313-3-1 du code du travail (sur Légifrance).

3> Cf. guide du FFFOD (www.fffod.org) disponible sur le site du ministère du travail, p.11 notamment (travail-emploi.gouv.fr).

4> Action de formation en situation de travail, définie aussi par l’article 1 du décret du 28 décembre 2018 (sur Légifrance).

5> Cf. les annexes de l’arrêté du 17 juillet 2018 (sur Légifrance).

6> Cf. le rapport de l’IGAS « La transformation digitale de la formation professionnelle continue », p.25 (www.igas.gouv.fr).

7> Sur l’adaptation de la formation aux marchés, lire par exemple N. Hirtt sur le site de l’Adep (skolo.org), ou l’écouter sur youtube, en conférence pour Éduc’Action 31.

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